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LE MONDE | 19.12.02 | 15h24
La réputation scientifique contestée des frères Bogdanov
Les célèbres jumeaux sont revenus à la télévision après avoir obtenu des thèses en mathématiques et physique théorique. Depuis, ils sont la cible de virulentes critiques portant sur la qualité réelle de leurs travaux.

De retour sous forme virtuelle sur le petit écran depuis le mois d'octobre, sur France 2, dans l'émission "Rayons X", les frères Bogdanov se trouvent depuis quelques semaines au centre d'une vive polémique.
   
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LE MONDE | 19.12.02 | 15h24
 
Vedettes de la télévision dans les années 1980 avec l'émission de science-fiction "Temps X", Grichka et Igor, 53 ans aujourd'hui, sont devenus docteur ès mathématiques et en physique théorique, respectivement en juin 1999 et juillet 2002. Coïncidence ? Quelques jours après leur réapparition à la télévision, une rumeur s'est répandue sur Internet, accusant les jumeaux d'être les auteurs d'un formidable canular. Ils auraient obtenu leurs thèses sur la foi de travaux sans valeur et publié, dans des revues spécialisées pourtant réputées, des articles n'ayant de scientifiques que le nom. Cette rumeur, lancée en octobre par un physicien de l'université de Tours – qui s'est depuis rétracté et excusé –, a enflé, suscitant la création de sites Internet traitant de ce qui est devenu l'"affaire Bogdanov".

Les deux frères ont travaillé sur les "fluctuations quantiques de la signature de la métrique à l'échelle de Planck" (Grichka) et l'"état topologique de l'espace-temps à l'échelle zéro" (Igor). Ces énoncés évoquent le titre abscons de l'article publié en 1995 dans la revue Social Text par le physicien Alan Sokal, auteur d'un savoureux pastiche. Mais, dans l'appartement du 16e arrondissement de Paris où ils reçoivent, cernés par les livres anciens, les Bogdanov démentent formellement : "Il ne s'agit en aucun cas d'un canular à la Sokal", appliqué aux sciences dures. Au contraire, leur ambition est extrême puisqu'ils ne prétendent rien de moins que d'apporter une nouvelle description de "l'instant initial" de l'Univers qui aurait pour origine un "point singulier", un "être mathématique". Un domaine "hautement spéculatif", admettent-ils.

L'actuelle polémique, assure Grichka, fait écho à une querelle vieille de plus de dix ans. Les deux frères sont alors accusés de plagiat par l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan. A l'époque, on leur reproche aussi d'avoir abusivement fait valoir des titres de docteurs sur la couverture de l'ouvrage incriminé, Dieu et la science (Grasset), dialogue avec le philosophe Jean Guitton. Les jumeaux se défendent d'avoir voulu usurper un titre universitaire. Ils plaident l'erreur du service de presse de l'éditeur."Nous étions en voie d'inscription en thèse avant la publication de l'ouvrage, ce qui a pu prêter à confusion", estime Grichka.

De fait, à partir de 1991, les deux frères disparaissent du petit écran et se consacrent entièrement à la physique théorique grâce à l'argent gagné à la télévision. D'abord inscrits à Bordeaux-I, ils sont ensuite accueillis à l'université de Bourgogne, où Moshe Flato, spécialiste de physique mathématique, accepte d'encadrer les deux thésards."Notre vie s'est alors résumée à une fascination hypnotique pour une question scientifique", raconte Igor.

"STYLE IMPRESSIONNISTE"

Mais leurs méthodes de travail déconcertent."Ils ont un style impressionniste, des idées très valables exprimées de façon non académique", indique Daniel Sternheimer qui, à la mort de Moshe Flato, en 1998, accepte de lui succéder en tant de directeur des thèses des deux frères. Il aura le plus grand mal à canaliser ses deux étudiants : "C'est comme vouloir donner à My Fair Lady l'accent d'Oxford : on y arrive, mais quel boulot !"

La veille de la soutenance, en juin 1999, parmi les rapporteurs et examinateurs de la thèse de Grichka, les physiciens Costas Kounnas, (ENS-CERN) et Igniatios Antoniadis (Centre de physique théorique de l'Ecole polytechnique) jugent soudain les travaux présentés trop faibles pour être soutenus en l'état."J'avais donné un avis favorable pour la soutenance de Grichka, basé sur une lecture rapide et indulgente du texte de la thèse, explique Igniatios Antoniadis. Hélas, je me suis complètement trompé. Le langage scientifique était juste une apparence derrière laquelle se cachaient une incompétence et une ignorance de la physique, même de base." Grichka apporte alors des modifications substantielles et minimise ses prétentions en physique. Quant à Igor, "qui allait droit à l'abattoir", selon Daniel Sternheimer, sa soutenance est ajournée. La condition pour pouvoir se présenter ? Publier des articles dans des journaux à comité de lecture. Ce sera fait, dans des revues de second rang chinoise et tchèque, mais aussi dans les prestigieuses Annals of Physics et Classical and Quantum Gravity.

Igor soutient alors sa thèse à l'université de Bourgogne, le 8 juillet 2002."Je n'avais pas à être plus royaliste que le roi : dans la mesure où les articles avaient été acceptés par de bonnes revues, il était possible de soutenir la thèse", explique Daniel Sternheimer.

Comme Grichka avant lui, Igor reçoit la mention "Honorable", qui désigne, en termes académiques, un travail médiocre. Grichka est "fier de cette distinction, qui indique que nos idées sont non standards"."La tour de verre de la science s'est transformée en tour de Babel", soutient Igor pour expliquer pourquoi très peu de scientifiques sont à leur sens capables de juger de la qualité d'un travail qui emprunte des concepts tirés à la fois des mathématiques et de la physique. Pour les Bogdanov, "le procès d'intention l'emporte sur la véritable analyse". Ils avancent certains témoignages tels que celui de Robert Oeckl (Centre de physique théorique de Marseille), qui, après un long échange sur Internet, "ne conteste pas l'originalité" de certains résultats de Grichka, lesquels se cantonnent, écrit-il, "au royaume des pures mathématiques".

Alain Connes, titulaire de la médaille Fields, l'équivalent du Nobel en mathématiques, est plus sévère. Il juge la partie algébrique des travaux des Bogdanov comme "vraiment très faible" et ne méritant "au plus qu'un DEA -diplôme d'études approfondies-. Je n'ai pas le moindre doute sur mon jugement et il ne m'a pas fallu longtemps pour m'assurer qu'ils parlent de choses qu'ils ne maîtrisent pas". Preuve que même dans la tour de Babel il est encore possible de parler clair.

Hervé Morin


En 1991, une première "affaire"

En 1991, les frères Bogdanov publient chez Grasset un dialogue avec Jean Guitton, Dieu et la science. Alors que le livre prend des allures de best-seller, ils sont accusés de plagiat par le physicien Trinh Xuan Thuan, auteur de La Mélodie secrète, publié en 1988 chez Fayard. D'abord condamnés, les frères ripostent, accusant à leur tour "TXT" d'avoir emprunté des fragments de leurs entretiens avec Jean Guitton et Carl Sagan, publiés dans Paris-Match dans les années 1980. Début 1994, trois membres de l'Académie des sciences, Yves Coppens, André Lichnerowicz et Etienne Wolf, concluent que les textes incriminés "étaient déjà présents, soit, pour la plupart, dans des ouvrages antérieurs à La Mélodie secrète, soit, pour certains d'entre eux, dans des écrits plus anciens de MM. Guitton et Bogdanov". En 1995, Hachette, maison mère de Grasset et Fayard, siffle la fin de partie et impose un accord à l'amiable. Yves Coppens estime aujourd'hui que la balance pesait nettement en faveur des Bogdanov.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 20.12.02

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